Répondre aux conséquences des catastrophes climatiques ou à la montée des tensions géopolitiques autour de l'Arctique: le changement climatique fait désormais partie des enjeux auxquels sont confrontées les armées du monde entier et ne doit pas devenir "un angle mort" de leur action, estiment les experts.
"On ne peut y échapper. Le climat n'a que faire de qui remporte une élection et des objectifs politiques de chacun. C'est en train d'arriver, et les armées doivent s'y préparer", estime Erin Sikorsky, directrice du Centre pour le climat et la sécurité, basé à Washington.
Les inquiétudes grandissent concernant la manière de faire face à ce défi majeur et de s'adapter à de nouvelles menaces en constante évolution, alors que l'Europe renforce sa défense dans un contexte tendu et que les États-Unis se retirent de leurs alliances stratégiques et de leurs engagements écologiques.
"Lacunes stratégiques"
Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump a supprimé le climat de tous les sites internet gouvernementaux et la dernière évaluation des menaces par les services de renseignement américains ne mentionne pas le changement climatique.
"Ce qui m'inquiète, en tant que personne ayant longtemps travaillé dans le domaine de la sécurité nationale, c'est que cet angle mort met les États-Unis en danger", souligne Mme Sikorsky. Elle regrette des "lacunes stratégiques cruciales", notamment concernant la Chine, superpuissance des énergies renouvelables, et la course à la suprématie dans l'Arctique, où la fonte de la banquise ouvre des voies de navigation et un accès aux ressources.
En Europe, l'invasion de l'Ukraine par la Russie a suscité des craintes en matière de sécurité énergétique et accéléré les ambitions de nombreux pays en matière d'énergies renouvelables. Mais parallèlement les budgets climat ont été réduits pour se concentrer sur la défense et le commerce.
La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a estimé en mars que malgré la situation géopolitique "extrêmement difficile", l'action climatique devait rester une "question de sécurité prioritaire". L'ambitieux plan d'investissements de son pays prévoit 500 milliards d'euros pour l'armée et les infrastructures, mais aussi 100 milliards pour les mesures climatiques.
"Quiconque pense à la sécurité doit également penser au climat. Nous vivons déjà une crise climatique", estime une étude commandée par les ministères allemands des Affaires étrangères et de la Défense en février.
Les défis climatiques apparaissent dans "l'ensemble des missions militaires", avec des risques accrus, notamment de mauvaises récoltes à grande échelle, des conflits et de l'instabilité.
Instrumentalisation des catastrophes
Les forces armées sont de plus en plus souvent appelées à intervenir en raison d'inondations, de tempêtes et d'incendies de forêt, mettant à rude épreuve leurs capacités, souligne Mme Sikorsky, dont l'organisation a suivi plus de 500 interventions d'urgence de ce type dans le monde depuis 2022.
Par ailleurs, les catastrophes climatiques sont parfois "instrumentalisées" par des États, explique-t-elle.
À l'automne 2024, alors que la Pologne était en partie inondée par la tempête Boris et que des soldats aidaient à évacuer les habitants et à déblayer les débris, le gouvernement polonais a déclaré être confronté à une augmentation de 300% de la désinformation russe en ligne, ciblant les secours.
Le réchauffement climatique a également des implications opérationnelles majeures. Les températures extrêmes peuvent compromettre la santé des soldats et même réduire la capacité de chargement des avions, note Mme Sikorsky.
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Vulnérabilité énergétique
Les armées ne sont pas tenues de déclarer leurs émissions de gaz à effet de serre, de sorte que leur contribution directe au réchauffement de la planète n'est pas connue avec précision.
Toutefois, un rapport de l'Union européenne de 2024 estime que l'empreinte carbone des armées du monde entier pourrait représenter 5,5% des émissions mondiales.
Ce même rapport pointe leur forte dépendance à l'égard des combustibles fossiles, source de "vulnérabilités importantes" au combat.
Ainsi, les convois de carburant sont une cible facile pour les bombes placées en bord de route, qui sont à l'origine de près de la moitié des décès américains en Irak et de près de 40% en Afghanistan.
Les énergies renouvelables pourraient contribuer à éviter ces risques, selon le rapport, qui reconnaît toutefois que la technologie n'est "pas encore tout à fait adaptée au combat".
Avec AFP.