Manifestation contre l'exploitation des énergies fossiles, à La Défense, près de Paris, le 22 août 2023.
©ALAIN JOCARD/AFP
Tendances

En Europe, l'étau judiciaire se resserre autour des militants écologistes

À l'instar de l'Italie, qui a adopté début avril un décret faisant du blocage de routes, une forme de protestation non-violente couramment utilisée par les militants écologistes, un délit pénal, les États européens utilisent de nouveaux mécanismes juridiques et policiers pour restreindre les manifestations environnementales.

Après avoir atteint un pic en Europe en 2019, l'activisme écologique incarné par les "marches pour le climat" est en mutation. Face aux alertes des scientifiques sur les conséquences du changement climatique, certains mouvements adoptent des méthodes plus radicales, ciblant notamment des infrastructures et des grandes entreprises.

"Il y a une diabolisation des militants écologistes", observe Anna Di Ronco, criminologue à l'Université de Bologne, "car ces actions se heurtent à des intérêts économiques puissants". D'après la chercheuse, "la protection du marché, de l'économie, justifie l'adoption de nouvelles lois criminalisant ou empêchant les manifestations".

Au Royaume-Uni, le Police, Crime, Sentencing and Courts Act, adopté en 2022 par le gouvernement conservateur de Boris Johnson, permet aux forces de l'ordre de restreindre, voire d'interdire, les rassemblements publics jugés trop bruyants.

Le Public Order Act de 2023 a complété cet arsenal juridique en créant des infractions pénales pour certaines des formes de désobéissance civile les plus répandues, comme le fait de "s'attacher à une autre personne, à un objet ou au sol", ou bien toute "interférence avec l'utilisation ou le fonctionnement d'une infrastructure nationale clé".

En juillet 2024, cinq militants de Just Stop Oil ont été condamnés à des peines de quatre et cinq ans de prison pour avoir préparé, lors d'une réunion en ligne, une action de blocage de l'autoroute M25 de Londres, en novembre 2022.

Leurs peines ont été réduites en appel début mars, de quatre ans maximum à trente mois d'emprisonnement. L'organisation, qui réclame la fin de l'exploitation des énergies fossiles d'ici à 2030, a depuis annoncé mettre fin à ses actions choc. Un dernier rassemblement est prévu samedi à Londres.

"Il y a une volonté politique de dissuader l'activisme environnemental par la sévérité des sanctions pénales", estime Olivier Cahn, professeur de droit à l'Université Paris Nanterre. Et si les peines de prison ferme restent rares, les amendes se multiplient et leur montant explose. En Italie, une loi sanctionnant les "écovandales", adoptée en janvier 2024, prévoit entre 10.000 et 40.000 euros d'amende pour des dégradations sur des biens culturels ou paysagers.

Ces amendes se situaient entre 1.500 et 10.000 euros auparavant. Dans le viseur des autorités: les récentes projections de peinture par des militants écologistes sur des monuments, tels que la Scala de Milan et la fontaine de Trevi à Rome. "Les amendes, contrairement aux autres peines en droit pénal, peuvent se cumuler. Vous pouvez très vite placer quelqu'un dans une situation financière désagréable", souligne Olivier Cahn.

"Terrorisme et crime organisé"

À ces nouvelles lois s'ajoute "l'utilisation de lois originellement conçues pour cibler le terrorisme et le crime organisé contre les défenseurs de l'environnement", relève Oscar Berglund, politologue à l'Université de Bristol et co-auteur d'un rapport sur la criminalisation des militants écologistes.

En France, le gouvernement est accusé d'avoir éloigné des militants écologistes étrangers dans le cadre des manifestations "antibassines" à Sainte-Soline (ouest), en mars 2023. Des "interdictions administratives de territoire" permises par une loi antiterroriste de 2014, initialement prévue pour les jihadistes.

Le gouvernement a par la suite prononcé la dissolution des Soulèvements de la terre, mouvement à l'origine de ces manifestations, en vertu de la loi dite séparatisme, conçue en 2021 dans le cadre de la lutte contre l'islam radical.

Une décision annulée par le Conseil d'État en novembre 2023, ce dernier retenant "une provocation à la violence contre les biens qui ne justifie pas une dissolution". En Espagne, des membres de Futuro Vegetal, un groupe écologiste connu pour des dégradations ou des blocages routiers, ont été mis en cause pour "appartenance à une structure criminelle".

Des accusations similaires visent le collectif allemand Letzte Generation, dont la branche autrichienne a cessé ses actions depuis août 2024, ne voyant "plus aucune perspective de succès". "Ces poursuites contre des mouvements non-violents sont sans précédent", note Oscar Berglund, soulignant que ces lois "sont généralement utilisées contre des organisations mafieuses".

En Allemagne, elles confèrent aux autorités des pouvoirs d'enquête étendus, tels que des écoutes téléphoniques, des perquisitions et la surveillance acoustique des domiciles. "De telles mesures ne sont pas nécessaires", estime le chercheur, pour qui "les droits civils et politiques des citoyens européens s'érodent peu à peu".

Avec AFP.