Créatrice de la marque de mode responsable Cécance - le nom est en partie un clin d’oeil à celui que portait sa grand-mère couturière, Anne Liauzun ne jure aujourd’hui que par le lin pour confectionner ses collections.
"J’aime le côté rustique et brut de cette matière mais aussi la touche d’élégance qu’elle apporte à un vêtement. Je retrouve cette dualité dans ma personnalité", sourit l’entrepreneuse de 41 ans, originaire de Toulouse.
Bien plus qu’un "coup de foudre" esthétique, le choix de ne travailler qu’avec cette fibre naturelle - cultivée en France et en Europe, est aussi une manière pour la styliste de se différencier par rapport aux autres marques de prêt-à-porter haut de gamme.
Le choc du Rana Plaza
"Je n’avais pas envie de faire entrer une nouvelle marque sur le marché sans que cela soit justifié. Il fallait qu’il y ait une dimension de durabilité", lance la fondatrice de Cécance.
Cette prise de conscience est née au début des années 2010. A cette époque, cette diplômée de l’Esmod Paris travaille comme designer styliste free-lance pour plusieurs marques de prêt-à-porter, à l’image de Carlin Creative. "Je vendais mes dessins et collections avec des orientations tissus", précise Anne Liauzun.
Le 24 avril 2013, l’effondrement du Rana Plaza – un bâtiment qui abrite alors des ouvriers textiles près de Dacca au Bangladesh, résonne comme un coup de tonnerre dans le monde de la mode. Cet événement, qui fait plusieurs milliers de morts, provoque également un choc chez la créatrice qui commence à réfléchir à l’impact social et environnemental de son métier.
Ce n’est toutefois qu’en 2017 qu’elle décide d'amorcer un réel virage. "A ce moment-là, je travaillais depuis quatre ans comme responsable de collection pour une marque française de prêt-à-porter masculin moyenne gamme. Avec cette expérience, j'ai commencé à découvrir un peu mieux ce qui se cachait derrière le rideau, notamment en étant en contact avec les ateliers en Chine où la production était délocalisée. Il y avait également énormément de pression pour délivrer toujours plus vite", se souvient-elle.
Nouveau départ
Face à de telles conditions, et sentant qu’elle n’est plus alignée avec cette façon de créer, la styliste décide d’emprunter une autre voie, celle de l’entrepreneuriat. En 2018, elle pose les bases de ce que deviendra Cécance, deux ans plus tard.
"Avant de décider d’orienter la création de mon vestiaire autour du lin, j’ai défriché tout ce qui se faisait dans la mode responsable. Je me suis renseignée sur les matières à impact limité, notamment le chanvre...", égraine la quarantenaire.
Quand elle choisit finalement de jeter son dévolu sur le lin, Anne Liauzun confie qu’elle avait très peu de connaissances sur cette matière, aussi bien sur le plan théorique que technique. "C’est une fibre à laquelle je n’avais jamais touché. Au début, je me suis arrachée les cheveux", raconte-t-elle. "J’ai découvert que c’était une matière très vivante, qui ne se laissait pas faire. Cela a complètement changé mon processus créatif."
Côté sourcing, la créatrice avoue qu’elle avait là aussi quelques lacunes. "Je ne savais pas que le lin poussait en France. Je pensais que ça venait de Chine, ou d’Egypte", lance-t-elle, avant d’ajouter : "en me renseignant, notamment auprès de l’alliance du lin et du chanvre, j’ai découvert qu’il y avait des cultures par exemple en Normandie."
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"Renouer avec l’essence" du métier
Aujourd’hui, la styliste s’approvisionne principalement auprès de fournisseurs européens. La confection des vêtements se fait, quant à elle, en Seine-Saint-Denis, dans deux ateliers. L'un situé à Pantin, l’autre à Clichy-sous-Bois. Le tout est produit en très petite série : "pas plus de 200 pièces par modèle" avec un prix de vente moyen qui s’élève entre 350 et 400 euros, indique la créatrice qui pilote tout de A à Z.
Un bon moyen pour elle de retrouver la maîtrise de la fabrication et surtout de "renouer avec l’essence de son métier", quitte à faire quelques compromis.
"Pour des raisons financières, je dois fermer ma boutique dans le 7ème arrondissement à Paris. Je vais dorénavant privilégier la vente en ligne et dans des concept-stores. L’idée est aussi pour moi de marquer une pause avec Cécance", révèle l’entrepreneuse bien déterminée malgré tout à poursuivre son engagement pour une mode plus responsable.
David contre Goliath
Pour elle, cela passe notamment par la sensibilisation du grand public. Récemment, elle a lancé une collection capsule "She’s beginning" afin d’alerter sur l’impact de la pollution plastique sur les océans.
"Il s'agit d'une collaboration avec l’artiste Maud Louvrier Clerc. L'une de ses aquarelles représentant un sac plastique m'a inspirée et donné envie de créer des pièces autour de la protection des océans", livre la fondatrice de Cécance. 1 % des ventes de la collection est reversé à l’association Coral Guardian, qui agit pour protéger et restaurer l’écosystème corallien.
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Membre du collectif "une autre mode est possible", elle participe également à la mise en lumière des matières naturelles, comme le lin, auprès des créateurs. Au-delà de s’adresser aux professionnels, l’association tente plus largement d’éveiller les consciences, en réalisant par exemple des interventions dans les écoles. "C’est important d’aller à la source, d’éduquer le consommateur", martèle-t-elle.
Celle qui se revendique comme "clairement engagée" admet qu’elle peut parfois se montrer pessimiste quand elle voit l’engouement autour de marques d’ultra-fast-fashion comme Shein ou encore Temu.
Mais face à ces "bulldozers qui soulèvent des milliards, il y aura toujours des irréductibles rêveurs et optimistes", se réjouit-elle.
A vos agendas !
Organisée par le collectif "une autre mode est possible", la quatrième édition de la Semaine des autres modes a lieu du 6 au 13 octobre, dans plusieurs lieux à Paris. Ouvert à tous et toutes, et gratuit, cet événement dédié à la mode responsable débutera avec un défilé au Palais Galliera. Retrouvez plus d'infos ici.