Présentation du programme du Nouveau Front populaire lors d'une conférence de presse, le 14 juin, à la Maison de la Chimie, à Paris.
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Politique

L'économiste Julia Cagé défend le programme "social-démocrate" du Nouveau Front populaire

Un programme "social-démocrate" plutôt que "révolutionnaire": avant le premier tour des élections législatives, l'économiste Julia Cagé défend, dans un entretien à l'AFP, le projet économique du Nouveau Front populaire (NFP) qu'elle a contribué à rédiger, meilleur gage selon elle d'une croissance vertueuse sans creusement du déficit public.

Hausse du SMIC à 1.600 euros, taxation accrue des plus riches, retraite à 60 ans... Redoutées par les organisations patronales et critiquées par certains économistes, les propositions du NFP combinent, selon Julia Cagé, "efficacité" économique et "justice sociale".

"C'est un programme ambitieux, notamment en termes de pouvoir d'achat, qui va faire une vraie différence pour un nombre non négligeable de Français", développe l'économiste, "pas encartée" dans un parti et qui siège au conseil d'administration de l'AFP.

Il prévoit aussi "des investissements productifs" dans l'éducation, la recherche, la santé ou les infrastructures, capables de stimuler la productivité et la compétitivité des entreprises, souligne-t-elle, évoquant le New Deal du président américain Franklin Roosevelt.

Mais s'il prône "la rupture" par rapport à la politique de l'offre d'Emmanuel Macron, infructueuse selon elle en termes de croissance, d'emplois et d'investissements, il n'a rien de "révolutionnaire": comparé à celui déployé en 1981 par le socialiste François Mitterrand, "il est social-démocrate".

Pas plus de dette

"On ne va pas creuser davantage (le) déficit" de la France, déjà élevé, à 5,5% du PIB en 2023, assure Mme Cagé, car ce serait "difficilement soutenable" au vu des règles budgétaires européennes. Le financement des mesures s'appuie surtout sur des recettes fiscales accrues, explique-t-elle depuis son bureau de Sciences Po Paris, où elle enseigne.

"On sait très bien que si le Nouveau Front populaire arrive au pouvoir, il y aura une tension sur les marchés financiers (...). Vous n'avez donc aucun intérêt à être dans une logique d'endettement supplémentaire, mais plutôt à avoir un budget (...) plutôt équilibré."

Un Smic indolore?

En augmentant le salaire minimum de 14%, à 1.600 euros net mensuels, le NFP veut déclencher "un choc" de pouvoir d'achat pour relancer la consommation et la croissance. Cette mesure devrait entraîner 29.000 destructions d'emplois nettes, reconnaît Julia Cagé en citant un chiffrage de l'OFCE.

"C'est quasi neutre" sur le plan macroéconomique - environ 0,1 point de taux de chômage - comme celui de la compétitivité, les entreprises exportatrices étant peu exposées aux bas salaires, relativise-t-elle. En revanche, les TPE et PME risquent d'accuser le coup dans un premier temps, admet-elle. Aux prêts à taux zéro prévus dans le programme pour soutenir une trésorerie fragilisée, elle préfèrerait un "fonds de solidarité salariale au niveau des caisses de la sécurité sociale".

"Vous prenez la finance, ils ne souffriront pas du tout l'augmentation du Smic parce qu'ils n'ont personne au Smic. Par contre, ils paieront une partie de l'augmentation des bas salaires qui affectera la coopérative qui vend des produits alimentaires", illustre-t-elle, renvoyant la balle aux partenaires sociaux.

Comment bloquer les prix?

"Parce que les gens sont à 5 euros près", justifie Julia Cagé, le NFP veut bloquer les prix des biens de première nécessité dans l'alimentation, l'énergie et les carburants.

"On ne dit pas qu'on va fixer le prix de la baguette. On dit qu'on va arrêter l'augmentation des différents prix", détaille-t-elle.

"Un décret sera pris pour une durée de six mois" dès juillet. Au-delà, le NFP compte ouvrir des discussions "avec les industriels" de l'agro-alimentaire concernés.

Les entreprises, "qui ont fait des superprofits", devront rogner sur leurs marges, car elles ne seront pas indemnisées, assume l'universitaire. Pas d'indemnisation non plus dans l'énergie, où la coalition de gauche propose de remettre au goût du jour un bouclier tarifaire.

"De très grosses entreprises qui auront acheté plus cher l'énergie sur les marchés de gros vont devoir vendre moins cher parce que les prix seront bloqués", affirme-t-elle. Cette mesure pourrait cependant se heurter au droit européen et français.

"Pas le Venezuela"

Sous Emmanuel Macron, "on n'a jamais eu une telle concentration de richesses" aux mains des plus fortunés, déplore Mme Cagé. Favorable à une taxation accrue du capital, elle défend le rétablissement d'un impôt sur la fortune (ISF) à l'assiette élargie aux biens professionnels, qui pourrait rapporter jusqu'à 15 milliards d'euros par an.

Elle souhaite aussi abandonner le prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital ("flat tax") et rétablir l'"exit tax" pour lutter contre l'exil fiscal des contribuables. "Il y a des gens qui disent 'Ah, mais c'est pas possible!+ Aux États-Unis, par exemple, vous avez un impôt global sur le revenu. (...) Et les Etats-Unis, ce n'est pas le Venezuela", relève-t-elle.

L'inconnue du nucléaire, très "clivant"

S'il veut encourager fortement les énergies marines (éolien marin et hydroliennes) et la filière solaire française, le programme du NFP ne mentionne pas le nucléaire sur lequel les composantes de cette union sont en désaccord.

"C'est sûrement l'un des points les plus clivants", admet Mme Cagé, renvoyant à un nécessaire débat parlementaire.

Avec AFP.